
Nouvelle : La Porète
De noirs nuages s’amoncelaient au dessus des chemins boueux qu’il me fallait encore emprunter pour rejoindre mes frères. Harrassé par cette longue journée passée à cheval, je décidais, ce soir là, de faire halte chez un proche parent, Philippe le Boulanger, évêque de Sées. Crotté de la tête aux pieds – la longue traversée des terres du Perche avait rendu méconnaissable ma blanche tunique, j’espérais pouvoir trouver rapidement le fidèle Jean afin qu’il m’introduise sans d’inutiles palabres auprès de son maître, mon oncle.
Sans surprise à cette heure, je trouvais le sacristain dans la Cathédrale. A ma vue, son visage se figea; l’incrédulité qui s’y lisait s’accompagna d’un geste m’invitant à l’accompagner en silence. Me demandant bien ce que tout cela pouvait signifier, j’obtempérais néanmoins et me laissais mener sans mot.
– Heureux de te revoir mon oncle mais que signifient tous ces mystères, que se passe-t-il ?
– Albert… On te croyait enfermé avec tes frères de Bretteville au château de Caen.
Le sombre visage de mon oncle n’offrait point l’épilogue attendu à l’absurde nouvelle : j’arrivais d’Italie où j’avais effectué une mission pour le comte de Caen supposé être devenu, entre temps, le geôlier de mes compagnons…
– Enfin, explique moi !
– Regarde par toi-même l’ordre d’arrestation reçu il y a quelques jours par le sénéchal de Sées pour une autre de vos commanderies.
Je saisis alors la lettre qu’il me tendait et lus, abasourdi, ces mots : « Une chose amère, une chose déplorable, une chose assurément horrible à penser, un crime détestable, un forfait exécrable, une chose tout à fait inhumaine, bien plus, étrangère à toute humanité, a, grâce au rapport de plusieurs personnes dignes de foi, retenti à nos oreilles. Les frères de l’ordre de la chevalerie du Temple, cachant le loup sous l’apparence de l’agneau et, sous l’habit de l’ordre, insultant misérablement la religion de notre foi, sont accusés de renier le Christ. Nous avons aussi décidé que tous les membres dudit ordre de notre royaume seraient arrêtés, sans aucune exception aucune, retenus prisonniers et réservés au jugement de l’Eglise, et que tous leurs biens seraient saisis, mis sous notre main et fidèlement conservés. ».
Par pudeur, les yeux baissés, mon oncle me laissait reprendre ces forces qu’un chevalier ne pouvait dignement paraître avoir abandonnées même quelques instants…
– Le commandeur de la Province de Normandie, Geoffroy de Charney est vraisemblablement emprisonné à Paris avec le Grand Maître… Pour lors, il faut te cacher et te faire oublier quelques semaines; le Pape va réagir, il faut attendre.
Mon oncle avait peut-être raison; l’Eglise ne pouvait permettre qu’on s’en prenne ainsi à ses moines soldats.
– Ici, continua-t-il, il y a trop de monde; un ami, le supérieur du Prieuré Saint-Laurent, à Moulins-la-Marche, pourrait t’héberger le temps nécessaire…. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’il abrite sous son toit un fugitif. Je sais qu’il héberge quelqu’un qui cherche à se faire oublier après des écrits controversés.
2
– Pourriez-vous remettre ceci au Père Thibaut ?
Sans un mot, le moine portier prit ma lettre, ferma la lourde porte et remit le loquet en place. Je n’étais point mécontent d’être arrivé à Moulins-La-Marche sans encombre. Bien que méconnaissable avec les habits que Jean m’avait laissés ce matin, je redoutais, en vérité, d’éventuelles rencontres avec les troupes royales. J’étais, en outre, impatient de rencontrer le Prieur; peut-être avait-il quelques nouvelles au sujet de mes frères du Temple. Dix minutes plus tard, la porte d’entrée s’ouvrit à nouveau laissant apparaître le visage d’un très jeune moine. Continuer la lecture de « »